Lors des campagnes municipales de 2020, les citoyens semblent avoir occupé une place centrale que beaucoup de commentateurs politiques ont estimée peu égalée par le passé : listes citoyennes, profusion d’outils d’intelligence collective… Ces listes, qui ont pu étonner à leurs débuts, sont désormais considérées comme des alternatives sérieuses. Plusieurs d’entre elles ont obtenu des scores élevés au premier tour des élections.
Selon Anne Muxel, sociologue et politologue française, « la participation électorale est considérée comme l'un des traits les plus caractéristiques de la bonne santé d'un régime démocratique », or, en France, elle ne cesserait de s'affaiblir depuis une vingtaine d'années. Ainsi, en 2014, les élections municipales ont connu « une abstention record », 36%, « du jamais vu sous la Ve République pour un second tour » (Le Figaro, 30 mars 2014).
Les causes ? L’affaiblissement de l’identification des citoyens à leurs élus et le sentiment d’être face à une élite politique corrompue1 ; l’incapacité des dirigeants successifs à proposer des réformes audacieuses pour répondre à la crise écologique2 mais aussi à la crise sociale, dont le mouvement des Gilets Jaunes témoigne. C’est à ces enjeux que souhaitent répondre les listes citoyennes. Selon Martial Foucault, directeur du Cevipof, « l'irruption de ces listes dans la campagne serait […] le signe de "la fin d'un cycle de la démocratie électorale" »3.
Nous vous proposons dans cet article d’aller au-delà de ce constat largement diffusé par les médias. Les élections municipales de 2020 sont-elles plus participatives qu’avant ? Quelles sont ces listes citoyennes dont parle tant la presse ? Comment sont-elles constituées et comment leurs programmes sont-ils rédigés ? Explications.
Les élections municipales de 2020, plus participatives ? Un constat à nuancer
Selon le politologue et professeur de science politique français Loïc Blondiaux, les élections municipales de cette année ne seraient pas nécessairement plus participatives que les précédentes. Deux phénomènes seraient à distinguer.
« Il y a d’abord des candidats classiques qui peuvent avoir recours à des dispositifs d’atelier censés contribuer à l’élaboration du programme. Ce n’est pas une nouveauté. Dans ce cas, la participation est une technique de campagne comme une autre, sans garantie que ces réunions préalables aient la moindre influence sur l’élaboration des programmes. En d’autres termes, c’est du marketing politique : il s’agit d’une communication orientée vers les électeurs.
En parallèle, un nouveau phénomène est apparu. Ce sont les listes citoyennes véritables, celles qui prennent au sérieux la question de la participation.
De ce fait, l’offre participative lors des campagnes municipales n’est pas un phénomène plus présent qu’avant. Il s’agit de distinguer l’usage d’outils de participation à des fins de marketing politique, qui n’est pas nouveau, des listes citoyennes véritables, qui elles le sont. Il ne faut cependant pas surestimer ce mouvement, il n’y a que quelques centaines de listes citoyennes. »
Il y aurait ainsi des « vraies » et des « fausses » listes citoyennes.
Selon Myriam Bachir, Maîtresse de conférence en science politique à l’Université d’Amiens4, malgré leur apparente pluralité, les listes citoyennes sont reconnaissables par leurs modes de faire à au moins 3 niveaux : « une fabrique citoyenne du programme », « des modes de sélection des candidats hybrides et sophistiqués » ainsi qu’un « engagement en faveur d’une action publique plus collaborative incluant des formes de démocratie directe en cas d’élection ». Nous pourrions ajouter à cela la volonté de limiter l’inscription sur ces listes de candidats adhérents à un parti politique, voire de l’interdire.
De la « vraie » liste citoyenne au « citoyen-washing »
D’une dizaine en 2014, les listes se proclamant citoyennes se comptent aujourd’hui par centaines. Elles se présentent dans des grandes villes comme « Archipel Citoyen » à Toulouse, « Nantes en commun » et « Nous sommes Montpellier » ; dans des villes moyennes, comme « Réveillons Annecy » et « Amiens c’est l’tien » ; ou encore des communes plus petites à l’image de « Saint-Médard-en-Jalles DEMAIN » et de « S’engager ensemble pour Saillans ».
Cet engouement pour les listes citoyennes – 500 recensées par le Cevipof – a créé un débat sur ce qu’est un « vrai » ou un « faux » citoyen, une « vraie » ou une « fausse » liste participative. En effet, dans le contexte actuel de rejet des formes conventionnelles de la politique, se présenter comme liste issue de la société civile présente un avantage électoraliste certain.
Selon Myriam Bachir, il y aurait des listes dites cosmétiques qui n’ont de « citoyennes » que le nom. Elles permettraient d’invisibiliser des étiquettes partisanes perçues négativement sur un territoire, mais aussi d’offrir un électorat plus important aux candidats issus de partis dépourvus d’ancrage local. Dans son article « Citoyennes et participatives : des listes qui réenchantent la politique » paru dans Le Monde le 26 février 2020, l’auteure cite l’exemple de « la France Insoumise qui ne bénéficie pas d’enracinement municipal et qui, dans des contextes de refus d’alliance avec la gauche de gouvernement (PS, Place Publique, Générations) a apporté son investiture à des listes citoyennes ».
Cependant, faut-il y voir un « citoyen-washing », c’est-à-dire l’usage, par des partis politiques classiques, de l’image positive dont jouit l’appellation citoyenne ? La réponse semble mitigée. Il y a de cela selon la chercheuse. Au même titre qu’il y aurait eu une « écologisation » des agendas électoraux dans le sillage des Marches pour le Climat, les listes auraient pris un tournant citoyen et participatif dans la continuité du mouvement des Gilets Jaunes, entre autres. Néanmoins, réduire la focale d’analyse au débat de ce qui est vraiment, ou non, citoyen masque la richesse des innovations en matière d’intelligence collective déployées par ces listes.
Les outils d’intelligence collective au cœur de la campagne des listes citoyennes
Afin de couvrir différentes échelles de collectivités, trois listes citoyennes et participatives ont été étudiées dans cet article : « Nous Sommes Montpellier » (ville de plus de 277 000 habitants), « Réveillons Annecy » (collectivité d’environ 125 000 habitants) et « Saint-Médard-en-Jalles DEMAIN » (commune de plus de 30 000 habitants).
L’analyse de ces listes a permis de montrer l’usage d’outils bien connus des professionnels de la concertation, tant pour leur constitution que pour l’écriture de leur programme.
La première étape a été d’élargir le champ de recrutement des candidats de ces listes. En effet, les listes « Nous Sommes Montpellier » et « Réveillons Annecy » ont permis à tous les citoyens de leur commune de candidater. À Saint-Médard-en-Jalles, un tiers a été tiré au sort sur les listes électorales, les tiers restants étant choisis parmi les membres du mouvement.
Les listes ont ensuite co-défini ce qu’était un « bon » candidat, afin d’établir de manière transparente les critères permettant leur sélection. D’autres données ont également été prises en compte, comme la parité, la diversité des catégories socio-professionnelles et les quartiers de résidence. « Nous sommes Montpellier » a ouvert ce processus de co-construction à tous les Montpelliérains. « Réveillons Annecy », quant à elle, a élaboré ces critères en interne.
Sur la base de ces critères, les candidats ont été sélectionnés grâce à un vote par jugement majoritaire. Il s’agit d’un mode de scrutin qui permet de se prononcer non pas en faveur d’un seul candidat, mais sur tous, en leur attribuant une appréciation : très bien, bien, assez bien, passable, insatisfaisant, sans avis. Les personnes élues sont celles ayant le plus d’appréciations positives. Ce fut le cas de « Nous Sommes » mais aussi de « Saint-Médard-en-Jalles DEMAIN » pour la part des candidats de la liste issus du mouvement.
Autre innovation, « Nous Sommes », « Réveillons Annecy » et « Saint-Médard-en-Jalles DEMAIN » ont proposé des élections sans candidat, c’est-à-dire que les listes ont été constituées avant que la tête de liste n’ait été nommée. Cette dernière fut choisie par les colistiers. Pour y parvenir, divers outils d’intelligence collective ont été utilisés.
« Nous Sommes » a eu recours au débat mouvant. Il s’agit d’une technique d’animation favorisant la prise de parole en groupe en permettant aux participants de se rapprocher ou de s’éloigner les uns des autres pour notifier leur accord ou leur désaccord avec la personne qui s’exprime. Chaque participant est invité à expliquer sa position. Le but de cet atelier n’était pas de sélectionner la tête de liste mais de permettre à chacun d’écouter les arguments des autres.
Le vote formel s’est fait sur le modèle de celui des budgets participatifs : les colistiers avaient trois points à accorder à un seul ou à trois candidats différents. Celui ayant recueilli le plus de points a été élu. Ainsi, Alenka Doulain, montpelliéraine de 30 ans, a été nommée tête de liste.
À « Saint-Médard-en-Jalles DEMAIN », c’est un autre outil bien connu des professionnels et habitués des dialogues citoyens qui a été utilisé : les post-it. Chaque colistier devait écrire le nom du candidat qu’il souhaitait voir élu tête de liste et expliquer pourquoi. À l’issu de ce débat, deux candidats ont été retenus, dont un n’ayant reçu aucune objection. C’est de cette manière que Cécile Marenzoni, directrice d’une école maternelle de la commune, a été élue.
À Annecy, enfin, des membres de la liste se sont spontanément portés candidats. Les colistiers leur ont ensuite attribué des notes selon des critères qu’ils ont préalablement établis. Ainsi, François Astorg, entrepreneur annécien sans-étiquette politique, a été nommé tête de liste.
La rédaction des programmes s’est également faite selon cette logique innovante. Par exemple, le programme de « Réveillons Annecy » a été écrit avec les Annéciens. Des groupes de travail ouverts à tous ont été formés. Au total, cela représente 150 citoyens membres ou non du mouvement « Réveillon Annecy ». Des propositions ont également été recueillies via une plateforme internet, La Fabrique Citoyenne. Lors de la rédaction du programme, les points bloquants ont fait l’objet d’un vote par jugement majoritaire.
Autre exemple, à Saint-Médard-en-Jalles, ce sont 25 réunions publiques qui ont permis de recueillir 294 propositions à l’origine du « projet de vie » proposé par la liste.
Ainsi, des citoyens ont largement été consultés en amont de la rédaction des programmes. Il est possible d’y voir l’une des raisons à l’origine de l’importance accordée à la participation citoyenne dans les programmes politiques de ces listes.
Une large place accordée à la participation citoyenne dans les programmes
Les programmes des listes étudiées dans cet article accordent tous une place importante à la question de la participation citoyenne.
« Nous Sommes » propose la mise en place d’assemblées citoyennes tirées au sort tant à l’échelle de la ville qu’à celle de la métropole. Cette introduction de la participation à l’échelle métropolitaine est nouvelle. En effet, si la prise de décision se fait de plus en plus à l’échelle des intercommunalités, les citoyens restent largement exclus de ce niveau de gouvernance.
La liste propose également un référendum révocatoire des élus à mi-mandat. Pour cela, 40 % des votants, représentant au moins 10 % des inscrits sur les listes électorales, doivent se prononcer en faveur du référendum.
En termes d’innovation, la liste « Réveillons Annecy » n’est pas en reste. À titre d’illustration, elle propose de retransmettre les réunions du Conseil municipal en podcast et de former tous les élus et les agents de la commune à l’intelligence collective. Une carte de la ville présentant tous les projets d’urbanisme en cours, prévus ou en réflexion sera également mise en ligne afin d’informer les citoyens. Enfin, une part de tirage au sort sera introduite dans les instances citoyennes qui seront créées.
La liste « Saint-Médard-en-Jalles DEMAIN », quant à elle, propose de mettre en place un schéma de gouvernance municipale participatif. Ainsi, une place est accordée aux citoyens tout au long du processus de décision : proposition des projets, sélection, transformation de l’idée en projet techniquement réalisable, suivi de la réalisation... Enfin, toutes les séances du Conseil municipal sont ouvertes au public.
Conclusion
Ces méthodes de co-définition des listes citoyennes et de co-écriture des programmes constituent-elles un atout pour être élues? Sont-elles comprises, acceptées, voire préférées des autres listes plus traditionnelles ?
Au premier tour des élections municipales de 2020, la liste « Nous Sommes Montpellier » a recueillit 9,25 % des voix (5e position), « Réveillons Annecy » 27,87 % des voix (2e position) et enfin « Saint-Médard-en-Jalles DEMAIN » 16,94 % des voix (4e position). Des alliances leurs sont proposées pour le second tour par divers partis, principalement de gauche et écologistes.
Ces résultats témoignent d’un changement de paradigme. La participation, longtemps utilisée à des fins de communication politique lors des campagnes municipales, semble aujourd’hui occuper une place beaucoup plus importante. Ces listes citoyennes et participatives, longtemps considérées comme un mouvement marginal, sont désormais des candidats sérieux. Serait-ce la préfiguration d’un avenir prospère pour les outils d’intelligence collective à l’échelle municipale ?
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1 Cevipof (2017), En qu(o)i les français ont-ils confiance aujourd’hui ?, Opinion Way, Cevipof, récupéré à partir de https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/BJ15515-CEVIPOF-Barometre_confiance_en_politique_vague8-1.pdf
2 Guertin-Armstrong, Simon, « Crise écologique et institutions démocratiques. Les droits environnementaux constitutionnels », Éthique publique [En ligne], vol. 13, n° 2 | 2011
3 Pauget, David, Municipales : les listes citoyennes, révolution démocratique ou fausse bonne idée ? », L’express [En ligne], 2020
4 Bachir, Myriam, « Citoyennes et participatives : des listes qui réenchantent la politique », Le Monde, 2020